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Projet

Depuis quelques années, je voyage régulièrement aux îles du Cap Vert. Depuis 2005, j’y ai effectué cinq séjours. À la fois vacances et projet photographique, ces voyages sont souvent de courte durée : d’une à quatre semaines. Ces cinq voyages n’ont pas été construits comme des terrains pour une démarche ethnographique. Pour autant, mon regard curieux m’a permis une première approche du Cap Vert. Lors de mes voyages, j’étais systématiquement accompagné de mon appareil photo ; je photographie pour rencontrer, établir un lien avec des personnes, pour en apprendre plus aussi sur leur manière de vivre. 

L’archipel des îles du Cap Vert compte neuf îles habitées. À ce jour, j’en ai visité cinq. Toutes les îles sont différentes. Leurs topographies et leurs reliefs sont différents. Les paysages et les cultures sont différents. Mais également, les populations ont des modes de vie bien différents. Je préciserai même, les touristes sont différents : certains recherchent plages, farniente et boites de nuits, d’autres préfèrent un écotourisme, de grandes randonnées et le calme. 

  • L’île de Sal est réputée pour ses plages. Pendant longtemps, c’était la plus importante entrée aérienne du Cap Vert. Les grands hôtels internationaux sont les uns à la suite des autres sur la grande plage de l’île. Le tourisme est clairement le moteur économique de l’île. Sal est en quelque sorte la capitale touristique. 
  • L’île de Santiago est la plus grande et la plus peuplée de l’archipel. Sur cette île se trouve la capitale, Praïa. 
  • Une autre île très importante est São Vicente ; c’est l’île sur laquelle vivait la chanteuse Cesaria Evora. Les guides touristiques désignent São Vicente comme la capitale culturelle du Cap Vert.

Ainsi, pour un projet d’ethnographie un peu global du Cap Vert, j’aimerais m’arrêter sur ces trois îles, ces trois « capitales », touristique, administrative et culturelle. Aujourd’hui, j’ai quelques pistes de travail encore floues pour Sal et São Vicente, je les présente ci-dessous, cependant je souhaite plutôt concentrer mon enquête sur les rapports hommes-femmes à travers l’ethnographie des activités de pêche et de distribution du poisson dans un village de pêcheurs de Santiago. 

Les deux  pistes d’enquête que je réserve pour plus tard 

1/ Les effets du tourisme, à travers la vie d’une famille du village de Santa Maria sur l’ile de Sal

Je suis allé quatre fois sur l’île de Sal. La partie touristique et les grands hôtels se situent dans le village de Santa Maria. À Santa Maria, la plupart des échanges économiques sont liés au tourisme : hôtels, bars, restaurants ou encore les activités annexes comme la plongée sous-marine. Au cours de mes voyages, j’ai noué des liens avec une famille, le fils est moniteur de plongée, la fille est chanteuse dans les hôtels et restaurants et la mère travaille comme femme de ménage. A travers cette famille, j’aimerais étudier les côtés bénéfiques et les côtés pervers du tourisme et plus particulièrement la question du rapport à l’argent entre les touristes et les locaux. J’ai envisagé de suivre cette famille dans la durée, d’étudier en quoi consistait sa relation au tourisme (et peut-être sa dépendance). Au cours de mon dernier voyage en août 2021, ils m’ont parlé des difficultés économiques engendrées par la pandémie du Corona virus avec l’ensemble des conséquences suscitées par les confinements et le tarissement des flux touristiques. Cet axe d’enquête devrait donc être redéfini en tenant compte de la manière dont les choses vont se reconstruire après la pandémie. Il est sans doute encore un peu tôt pour cela.

2/ Les femmes trans au Cap Vert. Mindelo, São Vicente

Lors d’un séjour, j’ai photographié une femme-trans. En discutant avec elle, j’ai appris qu’à Mindelo, la capitale de l’île de São Vicente, il existait une communauté de femme-trans. La place des personnes trans dans les sociétés africaines est peu traitée. Une ethnographie des femmes trans au Cap Vert pourrait permettre de mieux comprendre comment cette identité se construit dans cette société, comment elle est perçue et vécue. Là encore, si le sujet m’intéresse, je pense devoir approfondir mes lectures et élargir mes contacts pour préparer la construction d’une enquête.

3/ Pour ma recherche, j’envisage donc de me concentrer sur les rapports hommes-femmes dans la pêche, la distribution et la vente du poisson, à travers l’ethnographie des femmes de la plage de Tarafal (Santiago).

Lors de mes déplacements en taxi collectif, à Santiago, je me suis rendu dans un village de pêcheurs au nord de l’île, Tarafal. C’est un petit village à 70 km de Praïa la capitale. Beaucoup plus calme et plus petit que la capitale. La vie s’organise autour de deux points : le marché et la plage. L’activité sur la plage est aussi importante qu’au marché, mais pas aux mêmes heures. Le marché est en activité du milieu de la matinée au milieu de l’après-midi. Alors que la plage est en activité dès le lever du soleil. Tôt le matin, les hommes sont les premiers sur la plage. Ils mettent à l’eau leurs embarcations pour aller pêcher. 

J’avais remarqué des femmes avec de grandes bassines ; je les voyais parcourir l’île pour vendre du poisson. Ce système de distribution en porte à porte m’a interpellé. Je me demandais comment tout cela s’organisait : comment les femmes récupéraient le poisson, quels liens entretenaient-elles avec les pêcheurs, comment choisissaient-elles les villages pour vendre le poisson ? Quelle distance parcouraient-elles entre le village de pêcheurs où elles récupéraient le poisson et le lieu où elles le vendaient ? Est-ce que c’étaient les mêmes femmes que je voyais sur la plage et au grand marché de la capitale?

Lorsque je suis arrivé sur la grande plage de Tarafal, il était bien tard, les bateaux commençaient à rentrer. Beaucoup de femmes étaient là, à scruter la mer ou à jouer aux cartes. Lorsqu’un bateau arrivait, un groupe de femmes allaient à sa rencontre. Je me suis intéressé et j’ai fait une série de photo. 

La série photographique

Cette série de photos m’a permis de préciser ma problématique. 

La première image montre trois femmes, le regard à l’horizon. Elles sont assises à l’ombre des arbres, juste devant les bateaux de pêche. Elles ont le regard tourné vers l’horizon. Elles attendent le retour des pêcheurs.

La deuxième image permet à la fois de mieux distinguer les bateaux mais aussi les femmes. Les bateaux de pêche sont de petites embarcations fabriquées en bois. L’équipement est réduit au strict minimum. Il n’y a pas du tout d’électronique ultra-perfectionner comme un radar, un sondeur ou un GPS. Les bateaux sont remontés sur la plage, ce qui signifie qu’il n’y a pas vraiment de port. Les femmes que nous distinguons sur cette image portent des bassines sur leurs têtes et un seau à la main, comme celles que j’avais croisées dans les taxis collectifs.

La troisième et la quatrième image montrent des femmes assises en groupe et jouant aux cartes. Elles attendent le retour des barques et des pêcheurs. 

Les deux dernières photos montrent un groupe de femmes en train de se partager le poisson. Il n’y a pas d’homme à cette étape  alors que la pêche est effectuée exclusivement par les hommes sur les barques. Comment se fait la répartition des tâches entre hommes et femmes ? Y a-t-il un lien familial entre ces personnes ? Un lien de dépendance ? Un échange d’argent ? À quel moment se fait-il ?

–  Une proposition de dispositif de recherche où vous expliciterez vos méthodes et outils d’analyse. Comment pensez-vous vous y prendre concrètement pour tenter de répondre aux questions que vous vous posez ? Quels types de données ethnographiques vous attendez-vous à̀ trouver ? Quelles difficultés pourront se présenter à vous ? 

Pour comprendre ce qui se passait dans les photos que j’avais réalisées, j’ai sollicité un ami cap verdien, qui vit en France, mais qui vient de ce village.  Il m’a déjà apporté une aide très précieuse en commençant à donner du sens aux situations et aux scènes saisies par mes photos. Pour mener ma recherche j’envisage donc de procéder en deux temps : 

Dans un premier temps, je vais préparer mon terrain de recherche par des lectures approfondies sur l’organisation sociale de la pêche en Afrique de l’ouest. De plus, j’apprends le portugais afin de pouvoir entrer plus facilement en interaction avec les personnes et comprendre ce qui se dit ;  par exemple, comprendre ce que les femmes se racontent lors des différents moments apparemment insignifiants : attente, déplacement dans l’ile… 

Dans un deuxième temps, j’envisage de retourner sur place. Il est important que je puisse compter sur un interprète de confiance.  Je pense solliciter l’ami cap verdien de ma ville. Il parle français et le créole local, il pourra m’aider.

Sur place, j’envisage de réaliser des entretiens, des photos et des vidéos. Car c’est à travers une anthropologie visuelle que je souhaite réaliser ma recherche sur les relations entre hommes et femmes dans les activités de pêche et de vente du poisson. Je n’ai pas encore déterminé les modalités précises que je devrais privilégier. Qu’est ce que les photos peuvent montrer et que ne montrent-elles pas ? A quelle place se situer pour filmer ces activités ? Quelle place donner à mon ami cap verdien ? 

  • Un développement des pistes d’analyse pressenties, en vous appuyant sur des lectures personnelles. 

Je n’ai pas trouvé beaucoup de littérature anthropologique sur le Cap Vert. Je me suis procuré le livre de Sandrine Teixido mais le sujet est plus Césaria Évora que le Cap Vert. J’ai parcouru le livre de l’ethnologue Jean-Yves Loude Cap-Vert, Notes atlantiques, paru chez Babel en 2002.

Actuellement je cherche aussi des textes traitant des rapports sociaux à travers le travail en Afrique de l’ouest, Jean Copans par exemple. Mais, il est important de prendre en compte le Cap Vert comme ancienne colonie du Portugal et non de la France ou de l’Angleterre ; de plus le Cap Vert n’a pas d’attache avec le monde musulmans. Au final, le Cap Vert a peut-être plus à partager avec l’Angola ou même le Brésil, du fait de leur passé colonial commun qu’avec le Sénégal plus proche. Dans la recherche des textes de références,  je pense nécessaire de veiller en permanence aux particularités du Cap Vert.

Le texte d’Abdoulaye Sené, Les femmes et des activités de pêche sur le littoral sénégalais, me parait néanmoins important à lire car il pose justement la question de la place des femmes dans une société ouest africaine lié à la pêche. Dans les travaux qui traitent des relations hommes-femmes je serais vigilant aux schémas de structures sociales très différents qui peuvent exister entre les pays selon les religions dominantes.

L’autre piste qu’il me parait important de creuser concerne l’économie. Comment se mettent en place les rapports économiques là où moi, à première vue, je n’ai pas repéré d’échanges monétaires. Mon interlocuteur m’a laissé entendre qu’il existerait une forme d’avance sur recette. Les femmes ne payeraient les pêcheurs qu’a posteriori. Je cherche actuellement des références en anthropologie économique. 

En ce qui concerne une bibliographie plus générale sur les activités halieutiques, j’ai trouvé une bibliographie sélective en sciences sociales sur les pêches en Afrique de l’ouest, d’Agnès Blais de l’université de Laval au Québec.

  • Une conclusion reprenant le fil de votre argumentation et soulignant l’intérêt de votre projet de recherche dans un ou plusieurs sous-domaines de l’anthropologie. 

Je m’intéresse à l’archipel du Cap Vert depuis de nombreuses années et j’essaye de comprendre ce qui engendre pour le voyageur le sentiment d’une certaine simplicité des relations sociales. 

Ce qui était au départ un simple carnet de voyage, commence à prendre la forme d’un travail anthropologique. Chacune des neuf îles habitées de l’archipel comporte ses spécificités et s’il est tentant de parler de toutes les îles, pour ne pas se limiter à un survol, il me semble préférable de commencer par un travail ethnographique sur un terrain très localisé. 

J’ai choisi d’étudier les activités de pêche et de distribution du poisson dans le village de pêcheurs de Tarafal en me concentrant particulièrement sur les rapports hommes-femmes.  Cette ethnologie spécifique me fournira peut-être des éclairages sur les relations hommes-femmes dans la société cap-verdienne. L’aide d’un traducteur originaire du village sera précieuse tant pour réaliser les entretiens que pour expliciter les diverses situations observables et leur donner un sens. Ce projet de recherche, pourrait croiser plusieurs sous-domaines de l’anthropologie : les rapports hommes-femmes dans le travail, l’économie spécifique de la pêche et de la distribution du poisson. Je serai vigilant, lors de la recherche bibliographique, de prendre en compte les particularités culturelles, religieuses, sociales, historiques spécifiques au Cap Vert. Enfin, ce travail commencé par une série de photographies de voyage, pourrait à terme prendre la forme d’un documentaire anthropologie-visuelle.